
Il y a bien longtemps que je rêvais d’accéder au cœur du parc national de Phou Hin Poun, contemplant du view point situé à sa limite nord le relief abrupt et déchiqueté de ces massifs karstiques frôlant l’inaccessible, là où l’homme n’a pas ou peu accès, et recouvert d’une forêt splendide suscitant des envies de prospections dures à contrôler! C’est d’ailleurs uniquement ici que vole au petit matin l’endémique Byasa laos, un splendide Papilionidae qui arbore une robe noir de jais et rose flashy, afin de bien prévenir les éventuels prédateurs de sa toxicité, toute relative car elle pourrait au mieux faire vomir le jeune oiseau inexpérimenté.
Byasa Laos
Arrivé sur le camp le 28 avril, j’installe de suite un piège lumineux afin de profiter des dernières bonnes nuits avant que la lune ne nous fasse trop concurrence (on peut dans ce cas se rabattre sur des chasses nocturnes peu productives en sous bois, mais il vaut mieux se reposer pour la suite). Ces premières nuits laissent toutefois présager une entomofaune intéressante. J’entame ainsi l’inventaire des papillons diurnes le long de la Nam Hin Boun en attendant les autres scientifiques qui arriveront d’ici dix jours. En des lieux choisis, petites clairières ou croisées de chemins, je dispose de la purée de crevette, des fruits pourris et de l’urine afin d’attirer des espèces de toutes familles, dont les mâles viennent chercher les sels minéraux nécessaires à la complétion de leur spermatogenèse. Gorgés de soleil et rassasiés, ils peuvent partir à la conquête des femelles qui elles restent près des plantes-hôtes à butiner des fleurs en attendant leur prétendants. La singularité de ces lieux, c’est de trouver ici à 200m d’altitude des espèces diurnes et nocturnes typiquement himalayennes comme Byasa polyeuctes ou Archeoattacus edwardsi, mais Francis Hallé me dira qu’il en est de même pour les plantes. Ceci explique cela. Mais on trouve aussi des espèces malaisiennes, d’autres typiquement vietnamiennes et d’autres encore venant du grand bassin du Mékong. Il se passe quelque chose dans le coin, ça sent la biodiversité à plein nez….

Archeoattacus Edwardsi (photo Alexandre Teynié)
Depuis 2008, j’essayais tous les ans de retrouver dans ce parc un petit Sphingidae gris, vert mousse et ocre dont j’avais attrapé plus au nord dans des biotopes similaires le seul couple connu, mais sans succès. Quelle ne fût pas ma joie lorsque une nuit je vis posé, seul sur une feuille d’Aracée, la bête tant attendue, parfaite et fraîche, dont l’éclosion avait sans doute été provoquée par les dernières pluies salvatrices! Pluies qui ont entre autre permis à tout le monde de souffler un peu et de récupérer. La lune se faisant maintenant plus discrète, la quantité et la diversité d’insectes attirés par nos lampes augmente à mesure et m’apporte de nombreux sphinx dont je réalise l’inventaire laotien avec Jean Haxaire, et fait également le bonheur des mes collègues entomologistes Henri-Pierre Aberlenc et Jean-Yves Meunier, auxquels je laisse le soin de ramasser tout ce qui n’est pas un papillon.
La nuit de la lune noire, le 20 mai, un campement avancé dans le karst sur une crête installé par des grimpeurs et des guides de hautes montagne m’a permis de réaliser une chasse dans un endroit extraordinaire, sur un piton rocheux dominant la canopée de deux vallées et face à un pan de karst magnifique. Le rayonnement des lampes qui arrose la forêt quasiment à 360°, conjugué à la noirceur ambiante et à la qualité du milieu, à permis de réaliser une chasse des plus intenses qu’il m’ait été donné de vivre. La difficulté liée à l’accessibilité du site et au déplacement autour du drap, sur des pointes calcaires ultra coupantes, cassantes et instables, au bord du vide, n’est pas pour me déplaire et rajoute au sentiment d’être les premiers à explorer ces lieux magiques.

Près de 160 espèces de papillons diurnes ont été identifiées pendant mon séjour, beaucoup plus de nuit dont 35 espèces de Sphingidae et 6 de Saturnidae. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et il me faut passer le relais et rentrer sur Luang Prabang pour continuer à prospecter, dans d’autres montagnes et forêts de la Cordillère Annamitique.

Amblypterus panopus (photo Alexandre teynié) et Arhopala Cantaurus

Loepasp. (photo Alexandre Teynié) et Troides Helena (photo Alison Piquet)

Papilio Bianor gladiator et Papilio Paris
Khob Chai à toute l’équipe d’Opération Canopée, à ceux qui m’ont aidé à porter les groupes électrogènes et tout le barda de mes malles si légères, à ceux qui m’ont soutenu dans mes recherches, à Vong d’avoir remis des bières au frais, à Alex d’être si cool, à Jean-Louis pour sa «baw pen nyang attitude», à Alison d’être qui elle est et à tous les autres, j’ai hâte de vous revoir!
See you in 2013!
Steeve Collard
Entomologiste